Trafic de reliques, d'Ellis Peters
10/18, collection Grands détectives, 1989, ISBN 978-2-264-03284-3
A morbid taste for bones (1977) traduit de l'anglais par Nicolas Gilles
L'auteur
Ellis Peters, de son vrai nom Edith Pargeter, est née en 1913 dans le comté de Shropshire, à la lisière du pays de Galles. Après des études dans un lycée d'Oxford, elle entre pendant la Seconde
Guerre mondiale au Women's Royal Navy Service. Ses activités au département des communications lui valent la British Empire Medal, qu'elle reçoit des mains du roi George VI. Elle étudie par
ailleurs la langue et la littérature tchèques dont elle traduira plusieurs œuvres majeures en anglais.
Après la guerre, elle publie ses premiers livres, des romans historiques, sous son vrai nom. Sa trilogie - La pierre de vie, Le rameau vert et La graine écarlate -
située au temps des bâtisseurs de cathédrales, rencontre un grand succès auprès de la critique et du public. En 1959, elle entame une nouvelle carrière d'écrivain de polar sous le nom d'Ellis
Peters, avec les aventures de l'inspecteur George Felse.
En 1977, Trafic de reliques voit le jour, premier roman mettant en scène son héros le plus célèbre, le détective bénédictin Frère Cadfael, série qui compte aujourd'hui vingt-et-un
volumes.
Décédée le 14 octobre 1995, Ellis Peters a été élevée au rang d'officier de l'ordre de l'Empire britannique, pour services éminents rendus à la littérature.
Le roman
« Une abbaye bénédictine peut-elle décemment attirer les foules sans reliques consacrées ? Non, répond le prieur de Shrewsbury, en cet an de grâce 1138 [...]. Qu'à cela ne tienne, le pays de
Galles voisin a des saints pour chaque jour de l'année et même plus ! Sainte Winifred, bien négligée par ses voisins, apparaît alors à un jeune moine. Un signe du ciel. L'abbaye envoie donc une
délégation au village gallois. Lequel n'entend pas se faire enlever sa sainte, comme le proclame haut et fort le seigneur du lieu... qui meurt le lendemain. Vengeance divine ou bien les hommes
s'en sont-ils mêlés ? » Ouest-France (quatrième de couverture).
Mon avis
Je n'avais jamais lu de roman sur Frère Cadfael, tout en étant fortement attiré par cet univers, de par l'attrait que possède sur moi le polar historique (depuis ma découverte du Nom de la
rose d'Umberto Ecco) et par la qualité de la série télévisée qui a été tirée des romans. Frère Cadfael est un ancien Croisé, entré dans les ordres vers quarante ans, qui occupe aujourd'hui
la fonction d'herboriste au sein de l'abbaye de Shrewsbury, à la frontière du pays de Galles. Son expérience de la vie hors du monastère, sa connaissance de la nature humaine et ses talents de
médecin et guérisseur lui procurent une place curieuse au sein de l'abbaye : confiance de l'abbé Radulfe qui le laisse régulièrement enquêter à sa guise, admiration et respect des novices et de
certains coreligionnaires qui ne voient pas dans son interpréation assez libre de la règle de Saint-Benoît un manque de foi, antipathie et méfiance de la part du prieur Robert et de son
sous-prieur...
Personnellement le personnage décrit par Ellis Peters s'est révélé éminement attachant : simple, sage et avisé, amateur de bon vin, ne refusant pas les petits plaisirs mais détaché de toute
passion, ayant vécu il comprend et pardonne facilement les tentations et comportements des civils... Mais ce n'est pas que Cadfael qui m'a séduit : tous les personnages sont redoutablement
esquissés, très bien dépeints, et l'exotisme temporel nous fait ressentir ces hommes et femmes, aux mœurs bien compréhensibles, justement encore plus proches de nous. Ellis Peters est une grande
connaisseuse de l'âme humaine, révélée ici dans une simplicité (et non une naïveté car la simplicité n'est pas exempte de méchanceté, d'arrogance ou d'ambition) qui la rend intemporelle.
Avant toute chose ce sont les personnages qui font rentrer le lecteur tout entier dans l'aventure.L'écriture est agréable, claire et élégante, Peters se situant dans la
catégorie des écrivains de policier « ancien style », dans la lignée d'Agatha Christie, Gaston Leroux, ou plus récemment Martha Grimes. Les détails historiques sont savamment distillés, sans
aucune pédanterie ou lourdeur, ce qui permet une plongée sans réserve dans l'Angleterre du XIIe siècle (dans un sens on y croit d'autant plus que l'exotisme n'est pas de mise). Quand à l'intrigue
(et sans toucher un mot du mystère) elle a beau être assez simple, elle n'en demeure pas moins très habile et brillament menée : aucun détail n'est négligé, les pistes sont nombreuses et
défrichables par le lecteur... Plus proche de Maigret que de Poirot, de Lupin que de Sherlock Holmes, Cadfael est bien un grand détective, tant du point de vue matériel, les indices étant simples
(compte tenu des moyens d'investigations assez limités) mais bien trouvés et disposés, que du point de vue humain, compte-tenu de son penchant à écouter son ressenti de l'âme humaine et de sa
manière si particulière de terminer une enquête (et là je parle de sa morale qui peut souvent paraître tendancieuse pour un moine). En conclusion un très bon roman, qui augure le suivi régulier
de la série toute entière.
[Une chronique de lecture de Jeff]