Orphelins de sang, de Patrick Bard
Seuil, mars 2010, 335 pages, ISBN 978-2-020978651
Attention, coup de cœur ! En course pour la sélection Polar SNCF, j'avais choisi ce titre pour son
sujet. Je m'étais dit aussi que je connaissais cet auteur, mais en lisant sa bibliographie, je me suis rendu compte que je m'étais trompé. Ce roman sera donc l'occasion pour moi de découvrir un
auteur... Et quelle découverte, mes amis !
Je ne vous conseille pas d'aller à Ciudad de Guatemala, l'une des villes les plus violentes du monde. Victor Hugo
Hueso est pompier. Son travail principal consiste à récupérer les cadavres des gens tués par les gangs et de prendre des photographies qui serviront ensuite à la police. Car cette ville est
dirigée par la corruption et le meurtre et la police ne peut rien avec de pauvres 9 mm face aux armes automatiques. Victor Hugo Hueso tient son nom de la passion qu'avait son père pour l'auteur
français, dont il n'a d'ailleurs pas lu la moindre ligne.
Il a un rêve ou plutôt un objectif : devenir journaliste professionnel pour les journaux dont les pages regorgent de
faits divers sanglants. Parce qu'il est doué et pour l'argent. Il suit des cours à l'université après son macabre travail. Ce matin-là, il est appelé pour un double meurtre de deux jeunes femmes.
L'une d'elles est morte, l'autre est dans le coma avec une balle dans la tête. À leurs pieds, a été abandonné une poupée de Shrek en mauvais état. Apparemment elles se promenaient avec un bébé
qui a disparu. Comme Hueso doit faire un article pour valider son cycle universitaire, il va mener l'enquête avec son ami de la police Pastor.
La police n'est pas une priorité pour le Guatemala. Pastor fait partie de la brigade des fémicides, c'est-à-dire le
département chargé de résoudre les meurtres de jeunes femmes. Mais le nombre des policiers de cette brigade diminue d'année en année alors que le nombre de meurtres peut atteindre un par heure
certains jours.
À l'autre bout de la chaîne, il y a Kate et John Mac Cormack. Ils sont Américains, habitent à Santa Monica et
désespèrent d'avoir un enfant. Ils ont essayé d'adopter un petit Roumain, mais la Roumanie vient de décider d'arrêter toutes les adoptions en cours. John remarque un site Internet d'une
association qui se propose de faire toutes les démarches pour l'adoption de petits Guatémaltèques en quatre mois. Comme leur jardinier est de cette nationalité, ils vont se lancer dans l'aventure
une nouvelle fois...
J'allais commencer mon article par « Magnifique », mais ce n'est pas exactement le terme qui convient pour ce roman.
Car le contexte noir et ultra violent ne va pas avec ce terme qui tient de la beauté. C'est plutôt un roman superbe et passionnant et cela pour plusieurs raisons. Tout est maîtrisé dans ce livre,
du déroulement de l'intrigue au style direct et acéré, de la psychologie des personnages à la vulgarisation de l'histoire du Guatemala. Ce livre plaira à tous, quel que soit ce que l'on cherche,
que ce soit une enquête, ou une plongée dans la vie du pays, ou des personnages profonds, ou un suspense prenant.
Patrick Bard ne fait pas de voyeurisme, ne fait pas dans l'extrême, ne montre pas d'esbroufe, ne cherche à nous en
mettre plein les yeux. Il nous plonge dans un monde déshumanisé, où la vie humaine n'a plus de valeur, où seul l'appât de l'argent devient une règle de vie. Et Patrick Bard se met au service de
l'Histoire, de son histoire, de ses personnages pour mieux nous montrer ce que nous ignorons, ce que nous voulons ignorer. Formidable Hymne à l'humanisme plutôt qu'à l'humanité, ce livre remet
férocement nos petites vies à leur petite place, en face de nos grandes responsabilités.
Alors que demander de mieux à un livre qui nous montre la vie des Guatémaltèques de l'intérieur, et le parallèle
avec la vie des pays riches, même si ce n'est pas le sujet premier du roman. Pour vous donner une idée de comparaison, bien que je n'aime pas ça, Orphelins de sang est du niveau de
Zulu, une analyse sociale et sociologique de l'influence et de l'impact de nos vies de « riches » sur les autres pays dits « pauvres ». Passionnant, indispensable, de quoi largement
donner un coup de cœur pour cet excellent roman. Et si je ne vous ai pas convaincus, je ne sais pas comment le dire autrement : Lisez ce roman.
Cette chronique de lecture est originellement parue le 18 août dans Black novel, blog sur lequel vous pouvez lire d'autres articles de Pierre.