Pas de traces dans le bush, d'Arthur Upfield
10-18, juin 1994, n° 2504, 287 pages, ISBN 2-264-01963-8
Collection Grands détectives dirigée par J.C. Zylberstein
Traduit de l'anglais par Michèle Valencia
Arthur Upfield naît en 1888 dans la région du Hampshire, en Angleterre mais passe la plus grande partie de sa vie en
Australie où il arrive en 1910. Il sillonne l'intérieur du pays, se familiarise avec la culture aborigène ce qui lui donnera la matière pour les romans futurs. Sa vie entière se passe en
Australie, hormis quelques retours en Europe : il combat dans les forces armées australiennes, il épouse une infirmière australienne Anne Douglas, il mène une existence de trappeur et de mineur
tout en envisageant une carrière littéraire. Il se consacre ensuite à l'écriture. Même âgé, il continue ses explorations des terres vierges, participe à des recherches scientifiques dont il
nourrit ses romans. Il meurt en 1964.
C'est la création du personnage de l'inspecteur Napoléon Bonaparte en 1929, dans le roman The BaraKee Mystery qui
inaugure la série qui lui fera connaître le succès.
Ce personnage, qui se fait appeler par son diminutif Bony aurait été inspiré par un pisteur métis, rattaché à
la police de Queensland et serait aussi la synthèse de plusieurs Aborigènes rencontrés par Upfield. Il deviendra un personnage récurrent des romans policiers d'Upfield jusqu'en 1960.
Il faudra attendre 1991 pour que l'éditeur Jean-Claude Zylberstein publie l'auteur en français.
L'écrivain est longtemps méprisé par l'intelligentsia australienne en raison de son intérêt pour la culture
aborigène envers laquelle le racisme était de mise puis par les Aborigènes qui lui reprochent des inexactitudes.
Paru pour la première fois en 1940, le roman Pas de traces dans le bush n'est pas le plus célèbre d'Arthur Upfield
mais il se déroule dans le bush, c'est-à-dire les immenses étendues désertiques du centre de l'Australie où les colons écossais ont installé des élevages de milliers de têtes de bétail. Les
propriétés sont distantes de centaines de kilomètres, vivent en quasi-autarcie et le trafic avec la ville se fait par avion. La culture européenne coexiste avec celle des tribus aborigènes,
elles, en conflits permanents.
Bony manque périr sous une bombe larguée au-dessus de l'endroit de son pique-nique, à la première page du roman ! Il
enquête sur la mort d'un officier de police dont la voiture est mitraillée dans les secondes qui suivent par un as de l'aviation, juste sous ses yeux. Apparemment, il s'agit de récupérer une
sacoche avec les preuves de meurtres. De fait, l'identité de l'attaquant est vite dévoilée. Ce qui importe, c'est de comprendre les motivations de l'assassin et de contrecarrer ses plans de
destruction et de meurtres. Comment faire pour que sa haine vengeresse ne prenne des proportions épouvantables ? Il ne peut y réussir tout seul.
L'intérêt primordial du roman réside dans la coopération du chef des Wantella, Eau Brûlante, avec l'inspecteur
Bonaparte pour déjouer les perfidies de Rex (fils de Mcpherson, propriétaire et de la belle métisse Tarlarin) qui s'est allié à la tribu ennemie des Illprinka et à leur chef sorcier, le traître
Itcheroo. L'amitié et la confiance qui les unissent s'expliquent en partie par le fait que Bony est lui aussi un métis, de mère aborigène et de père européen. Recueilli après l'assassinat de sa
mère, il doit son nom à ce qu'il mâchait des feuillets d'une biographie de Bonaparte à sa découverte !... Il a donc dans ses gênes (c'est la théorie développée) la possibilité d'accéder aux
mystères et aux pouvoirs occultes tout comme celle de vivre en harmonie avec les Blancs. Eau Brûlante, lui, a été le compagnon de jeux du vieil Écossais. La justice traditionnelle n'a pas sa
place dans cet univers naturel violent. La nature, avec ses paysages immenses, âpres et inhospitaliers mais propices aux pièges de tout ordre crée, étrangement, un huis-clos oppressant. Tout y
est exacerbé, excessif, tendu, explosif.
Les chenopodes, les lantaniers, le bosquet de livistonias peuvent se transformer aussi bien en abris qu'en pièges
mortels. Des marches sur l'argile rouge et brûlante se transforment en torture et que dire du raffinement des manœuvres du tueur au sang-froid dans les plaines marécageuses ou au cœur des
déserts. Le moindre petit nuage de poussière est vu à deux cents kilomètres... On communique autant par téléphone (quand les fils n'en sont pas coupés...) que par messages de fumée, les
Aborigènes ne portent qu'un cache-sexe alors que les Blancs prennent le thé dans de la porcelaine sous les tableaux de leurs ancêtres, on parle 'petit nègre' aux Noirs, jugés souvent très
primitifs... ou un anglais châtié.
Bref, ce livre est marqué par les mentalités des années quarante et le colonialisme triomphant perceptibles à de
nombreux détails, mais Arthur Upfield dépasse ces préjugés.
Il sait reconnaître la grandeur d'âme des Aborigènes, la force de leur civilisation. Il respecte leur loyauté, leur
courage, et si certains sont traîtres et cruels , c'est qu'ils ont été pervertis par les valeurs occidentales fondées sur l'égoïsme et le goût du pouvoir.
En résumé, un roman policier 'ethnologique', curieux et assez captivant. Les rebondissements ne manquent pas dans
cette structure narrative désormais classique. En tout cas, une découverte d'un milieu, des particularismes d'un continent encore secret et une plongée dans l'histoire des premiers pionniers du
bush.
Cette chronique de lecture est originellement parue le 1er septembre dans Les plaisirs de Mimi, blog sur lequel vous pouvez lire
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